Blockchain, le nouveau maillon de l’immobilier

Le 25 juin dernier, pour la première fois en Europe, une plateforme numérique a transféré un actif immobilier situé en région parisienne, à un promoteur par l’utilisation de la blockchain.
Cet évènement soulève de multiples interrogations sur les liens existants entre immobilier et blockchain mais également sur le potentiel de cette passerelle.
Comment matérialiser un transfert de propriété immobilière en utilisant la blockchain ?
La Blockchain est une technologie de stockage et de transmission d’information qui se développe sur le réseau internet. Les informations qui y sont partagées sont logées dans des blocs qui composent cet univers. Elles sont ensuite copiées et partagées entre de multiples ordinateurs ou serveurs. Pour récupérer ces données, il faut rassembler les éléments contenus dans chaque ordinateur et vérifier que tout soit conforme. Ainsi la base de données est théoriquement infalsifiable.
En l’espèce, un acte notarié inscrit et valide la valeur de l’immeuble à l’actif d’une Société par Actions Simplifiées. La plateforme d’investissements enregistre cette société en tant qu’émetteur dans son système et fractionne ces parts en « tokens ».
Les droits de propriété des parts de la société détentrice de l’immeuble sont enregistrés et valorisés sur la blockchain. Ce procédé n’est pas sans rappeler l’article 1er de l’ordonnance du 2 novembre 1945 relative au statut du notariat qui dispose que « Les notaires sont les officiers publics, établis pour recevoir tous les actes et contrats auxquels les parties doivent ou veulent faire donner le caractère d’authenticité attaché aux actes de l’autorité publique » soit l’enregistrement au cadastre et à la sécurisation des opérations immobilières.
Les promesses de la tokenisation
L’utilisation de la « tokenisation » peut toucher une diversité d’actifs qu’ils soient traditionnels ou complexes, liquides ou non. Ce mécanisme permet de faciliter l’accès des particuliers aux marchés habituellement destinés aux institutionnels grâce à la division des parts de propriété qui semble sans limite via les jetons numériques. On pourrait alors envisager que tout investisseur puisse acheter un fragment d’un centre commercial à New York ou bien d’un immeuble locatif à Shanghai pour quelques centaines d’euros. Comme l’a rappelé le 111e congrès des notaires de France en 2015, l’acte authentique du notaire répond à un besoin primaire de sécurité juridique dans le cadre de la constitution du patrimoine notamment immobilier. La législation étrangère en matière d’acquisition immobilière peut-être soumise à des procédures différentes. Ce traitement est complexe à aborder pour l’investisseur français. C’est en harmonisant l’accès aux immeubles à travers le monde que le mécanisme de tokenisation permettra de fluidifier le marché.
Utilisation des smarts contrats, une révolution est en marche
Avec l’utilisation de la technologie blockchain, il devient aisé de connaitre de façon incontestable et instantanée quels étaient les précédents propriétaires et/ou locataires. L’accès aux incidents qui ont pu survenir devient immédiat et systématique. En résumé l’ensemble des données est accessible et la consommation énergétique ou encore les factures dématérialisées sont visibles en un clic, aidé il est vrai par le développement des objets connectés. Cette data plus fine, abondante d’informations et totalement transparente permet alors de réduire les risques, liés à l’acquisition du bâtiment proposé à la vente et d’améliorer son attractivité, entrainant ainsi une fluidification du marché.
Prenons pour exemple une vente, si les parties sont d’accord sur le prix de la transaction, l’acquéreur pourrait devenir immédiatement propriétaire du bien. La blockchain, combinée au smart contrat, serait en mesure de vérifier que l’acquéreur soit solvable, mais aussi comparer les taux de crédit sur le marché, transmettre les diagnostics obligatoires, détecter d’éventuels recours voire l’existence d’un droit de
préemption. Verser l’acompte au vendeur et programmer le ou les versements complémentaires viendraient compléter le processus d’acquisition. La rémunération des différents intermédiaires comme l’État, le notaire, la banque ou encore l’agent immobilier serait également intégrée.
La remise en cause de certaines pratiques ou l’utilité de certains métiers est une question qui a le mérite d’être posée. Le notaire n’interviendrait plus dans l’accompagnement et l’enregistrement de la transaction mais se réorientera naturellement vers plus de conseil. Cette désintermédiation accrue permettra une réduction des coûts et surtout des délais, les transactions étant effectuées de façon instantanée. On pourrait alors envisager un marché immobilier liquide, disposant d’une cotation en continue bénéficiant aux investisseurs, aux banques pour la valorisation de leur garantie, mais aussi au contribuable dans le cadre de ses obligations fiscales, notamment quant à sa déclaration à l’impôt sur la fortune immobilière.
Et la réglementation dans tout ça ?
La réglementation Française est favorable aux offres ouvertes au public si le montant est inférieur à 8 millions d’euros bénéficiant d’une procédure simplifiée avec pour seule obligation de produire un document d’information synthétique (DIS). Ce dernier est non visé par l’AMF. (Article 211-2 du Règlement Général de l’Autorité des marchés financiers (RGAMF) version en vigueur en Juillet 2018).L’ordonnance « blockchain » du 8 décembre 2017 dont le décret d’application a été publié le 24 décembre 2018 autorise l’inscription de titres émis en France dans un « dispositif d’enregistrement électronique partagé » (DEEP) ou « blockchain » sous condition de présenter des garanties pour les propriétaires de titres notamment disposer de relevés d’opérations et d’un système sécurisé d’identification.
Face aux opportunités offertes par l’innovation restons attentifs aux menaces qui en découleront
La « Financial Conduct Authority » (FCA) au Royaume Uni s’est prononcée le 12 septembre 2017 au travers d’une « alerte consommateurs » rappelant les risques de fraude, de volatilité des prix des jetons, d’absence de réglementation sans parler du blanchiment et financement du terrorisme.
En effet, depuis l’essor des crypto monnaies, la blockchain porte plusieurs milliards de capitaux et attire ainsi les hackers. Ce « coffre inviolable » semble dévoiler quelques failles qui ont déjà couté plusieurs millions de dollars. Il faut être attentif à ces incidents car sans sécurité toutes ces évolutions perdront la confiance de tous et l’engouement de ce nouvel outil risque de vite retomber. Abordons cette faiblesse de façon positive : le temps de ces ajustements permettra aux différentes parties prenantes du monde immobilier de prendre le train du changement qui se dessine, inévitablement.
Laure EMONET, sous la direction de Monsieur Mehdi ALI LARBI.